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Semaine de 4 jours ? Et si c'était pour travailler plus... ?

· Monde du travail

Dans le sillage du très intéressant article de Jean-Marc Sylvestre "La semaine de 4 jours est une supercherie, les Français veulent surtout un travail plus intéressant et mieux rémunéré" et de la lecture du tout aussi intéressant essai de Bernard Stiegler "L'emploi est mort, vive le travail" découvert via cet article de Valéry Farcy, j'ai été amené à m'interroger sur "une semaine de travail de 4 jours ? Et pour quoi faire ?".

A la lecture des conclusions de l'étude d'ADP en question, retranscrite au travers des articles auxquels j'ai eu accès car je n'ai pas trouvé l'étude complète, il semblerait que 2 tendances ont été étudiées. L'une plébiscitée par 83% des sondés qui souhaiteraient travailler plus sur les 4 jours pour conserver un même niveau de rémunération et l'autre, largement minoritaire, de 17% qui accepterait de gagner moins en contrepartie de ce jour de travail de moins. Dans les 2 cas, il est sous-entendu que la journée non travaillée, n'est pas rémunératrice. Cela peut, certes, être un choix qu'elle ne le soit pas, mais ce n'est pas forcément une obligation.

Pourquoi travailler moins ?

A mon sens, cela peut relever :

  • d'un choix personnel d'organisation pour un meilleur équilibre entre vie professionnelle, personnelle et familiale.
  • d'une envie, et c'est là où l'essai de Bernard Stiegler est intéressant, de réduire son implication personnelle dans une activité professionnelle qui est devenue un "emploi" et non plus un "travail".

L'occupation de cette journée qui serait libérée est laissée au libre choix de chacun en fonction de ses envies, ses besoins, des moments de la vie... Tant qu'elle ne serait pas réduite à "offrir encore plus de temps de cerveau disponible pour des vendeurs de boissons gazeuses", je n'y trouve rien à redire.

Un jour de travail de moins ? Pour quoi faire ?

On peut choisir d'utiliser ce temps disponible pour :

  • s'occuper de ses enfants en partageant plus de choses avec eux (bricolage, cuisine, lecture et aide aux devoirs si besoin),
  • entretenir sa maison ou son appartement, jardiner, bricoler...
  • lire, voir des films, écouter de la musique... bref se "cultiver"
  • écrire, faire des vidéos, jouer de la musique... bref "contribuer à la culture" (qui est souvent le pendant du ou des points précédents)
  • participer à des activités associatives, aider d'autres personnes...
  • et tant d'autres choses encore...

A bien y réfléchir, même si elles ne sont pas directement rémunératrices pour les personnes qui les exercent pour elles-mêmes, ces activités ne constituent-elles pas, pour la plupart, un travail dont certaines personnes, en les vendant à d'autres, perçoivent une rémunération ? L'animateur.rice de centre aéré qui fait des activités manuelles avec nos enfants, les étudiants qui aident nos ados face à leurs difficultés en maths, physique, anglais ou autre, le plombier qui installe notre nouveau robinet ou répare une fuite, le jardinier qui tond notre pelouse ou taille nos haies, l'écrivain, le cinéaste ou l'auteur/interprète qui enchantent notre esprit, pour n'en citer que quelques-uns... toutes ces personnes effectuent bien un travail pour lequel elles perçoivent une rémunération.

Un cinquième jour indirectement rémunérateur, et s'il le devenait directement ?

Le temps libéré peut être, dans de nombreux cas, indirectement rémunérateur : s'occuper avec ses enfants (plutôt que de les confier à une nounou ou un.e baby sitter), construire un meuble, réparer une chasse d'eau... sont autant de travaux qui, s'ils ne génèrent pas de revenus, permettent d'éviter des dépenses. Certes, le meuble ne sera peut-être pas aussi bien fait que par un ébéniste, la chasse d'eau réparée refuira peut-être dans un an au lieu de trois, mais au-delà de la satisfaction personnelle du "c'est moi que je l'ai fait, moi-même", on aura surtout appris à le faire. On se sera rencardé sur Internet qui regorge de tutos de tous poils, on aura appris les gestes, quelques astuces, acheté quelques outils (faut bien faire travailler un peu les autres quand même ! ;-) ) qui nous auront permis de monter en compétences, pour nous même d'abord et pourquoi pas pour les autres ?

Car la formation, apprendre, est aussi une activité indirectement rémunératrice en ce sens qu'elle nous permet d'enrichir nos compétences, d'entretenir une forme d'employabilité (même si je n'aime pas ce terme), pas forcément en lien avec notre emploi actuel mais pour un travail autre que nous pourrions effectuer et dont nous pourrions tirer une satisfaction et des revenus.

Chacun d'entre nous, quel que soit notre emploi actuel et notre position sociale, dispose d'autres talents et compétences que ceux que nous exerçons dans notre emploi principal. Il n'y a qu'à discuter avec notre entourage professionnel pour découvrir qu'untel.le est musicien.ne dans un groupe et se produit régulièrement sur des petites scènes ou dans des bars, que tel autre est menuisier et construit ou retape des meubles à ses "heures perdues" (mais le sont-elles ?), qu'un troisième donne, comme moi, des cours de danses...

Et il est possible de les "valoriser" soit pour nous-mêmes, en faisant grandir notre "estime de soi", soit gracieusement pour d'autres (proches ou non) en faisant croître notre empathie, notre générosité, soit contre monnaie sonnante et trébuchante (quoi que je n'ai jamais vu des octets monétaires sonner ni trébucher sur mon relevé en ligne) ou bien sous forme d'échanges avec d'autres personnes. Le numérique, en général, les vidéos en lignes et les réseaux sociaux, en particulier, peuvent être des vecteurs pour partager ces qualités, les faire connaître, et, le plus important, reconnaître par d'autres.

Les, de plus en plus nombreux, "switchers" dont je fais quelque part partie en ayant 2 activités professionnelles, montrent bien qu'une des façons d'atteindre un épanouissement professionnel et personnel peut être de cumuler et d'alterner plusieurs activités nous permettant d'élargir le spectre de nos compétences utilisées.

Les entreprises seraient bien avisées de prendre conscience de ce qui n'est pour l'instant qu'un mode d'activité anecdotique pour :

  • soit le favoriser en réalisant qu'un "employé" plus épanouis est plus efficace dans son "emploi", en fonction des aspirations de celui-ci et des possibilités offertes ou non dans l'entreprise ;
  • soit faire évoluer l'organisation du "travail" en son propre sein pour que ses "employés" redeviennent des "travailleurs" au sens "Stieglerien" du terme, donc des gens qui prennent du plaisir et trouvent leur épanouissement dans leur travail

Vos commentaires sont les bienvenus...

Patrice Le Graverend, responsable Pédagogique INAsup